Billet de Pratt à Corto
- Corinne Tong-Chaï
- 23 juil. 2018
- 3 min de lecture

Si Corto ne vient pas à moi, je vais à Corto. Avec baluchon et casquette. En métro, en TGV , en tram. Je suis arrivée dans la capitale des Gaules pour admirer la dextérité du coup de crayon d'Hugo Pratt, la patte de l'aquarelliste, le petit supplément d'âme que lui confèrent ses héros comme Jack London, Robert Louis Stevenson ou encore Milton Caniff. Les planches originales de la genèse de Corto, je les connaissais déjà, je les aimais déjà, je les avais déjà admirées mais encore une fois, je suis restée sous le charme de ce feutre. Car oui, si Pratt est un dessinateur hors norme, il n'utilise pas toujours l'encre de chine pour dessiner. Il attrape ce qu'il a sous la main, et le feutre est souvent le prolongement de sa main. Alors oui, parfois, certaines planches, avec le temps et la lumière, prennent des couleurs différentes. Le feutre noir de l'instant ne tient pas la distance du temps et s'immortalise en violet. Qu'importe. Les aquarelles de Pratt, c'est tout une histoire. Une histoire que narre parfaitement sa coloriste, Patrizia Zanotti. Parfois elle regardait le génie au travail. Et quand il se savait regarder, Hugo Pratt laissait le pinceau d'eau former de grosses tâches de couleurs. Laissant croire au voyeur qu'il faisait n'importe quoi. Après quoi il prenait son pinceau d'encre noire et dessinait les contours. Et là sous ses yeux, les tâches se transformaient en aquarelle maîtrisée. Sacré bonhomme. Sacré personnage. Une vie d'aventures. Comme Corto. Lui qui a commencé à dessiner grâce à sa grand-mère qui lui dit un jour alors qu'il n'a que 5 ans '' dessine ce que tu vois''. C'était un scaphandre. On le retrouve ainsi dans le dernier album de Corto dessiné par Pratt ''Mu''. Parce que Pratt n'a cessé toute sa vie de revenir aux sources. Cette expo nous entraîne à travers le monde, à travers des objets ethnographiques, comme cette pirogue, ce totem africain. Voyageur invétéré d'Afrique en Amérique, d'Ethiopie en Argentine, d'Italie à la Mandchourie, de l'Amazonie à l'Irlande. De sa jeunesse éthiopienne enrôlé à 16 ans dans l'armée italienne pas encore fasciste mais presque, aux côtés de son père, à sa jeunesse à Buenos Aires où il rencontre Dizzie Gillepsie, il est un puit de culture glanée aux vents de ses propres errances. De chaque culture, il essaie d'en extraire la magie, le côté du rêve. Comme Corto. De Fable de Venise aux Helvétiques, de Tango aux Celtiques. Pratt n'est pas un homme comme les autres. Comme Corto. Lui qui s'appelle Ugo Prat de naissance a choisi d'ajouter un H et de doubler son T, placé comme une ombre. Pratt aurait il un double? Il a dessiné sa signature avant de penser à tout autre chose. Bercée dans son enfance par les comics américains, il a ainsi découvert son Maître : Milton Caniff. Comme lui, il se délecte du noir et blanc. Le dessin concis de Caniff emmène Pratt vers un trait simple. Jeté. Unique. Pratt part sans cesse à la recherche de documents, dans les librairies, à travers les romans de Stevenson, Verne ou London. Comme Corto qui ouvre ces livres au gré de ses voyages. Hugo Pratt nous ouvre aussi sa vision de Corto. Comment dessine-t-il Corto? En commençant par les yeux. Ainsi dit il ''c'est un face à face entre lui et moi. Il me regarde et je sens qu'il me demande ''qu'est ce que tu vas faire de moi?''. ''J'ai une responsabilité vis à vis de lui'' lâche-t-il avec cette voix éraillée et chantante de tous les italiens qui parlent français avec cet accent renversant. Une choses est sûre. Le musée des confluences a réussi un fantastique hommage à Hugo Pratt. Avec des planches connues, ultra célèbres mais aussi des planches moins grand public mais tout aussi sublimes. Corto et Hugo ont parcouru le monde, nous spectateurs devenons acteur du voyage grâce à la table lumineuse du monde via les courants marins de notre main. Et le monde s'anime des personnages des 12 albums avec des bulles de plaisir et de bon sens. Plus loin, un tourbillon de lumière et de son vous happe dans la jungle de Corto. Les agrandissements de son héros sont fort à propos, et la découverte du documentaire ''trait pour trait'' de Thierry Thomas en toute fin de parcours est un régal. Juste avant, un mur géant tel un trombinoscope de tous ses personnages se dresse. En noir et blanc comme de bien entendu. Hugo Pratt cet écrivain qui dessine, ce dessinateur qui écrit, n'a pas emmené son marin solitaire avec lui. Corto vieillissait moins vite qu'Hugo. Il n'est pas mort avec son créateur. Est-ce du à l'Elixir de longue vie que le marin a trouvé dans les Helvétiques?
Hugo Pratt Lignes d'horizons
Du 7 avril 2018 au 24 mars 2019
Musée des Confluences
86 quai Perrache
69002 Lyon






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